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PUBLIÉ PAR HDFASHION / 29 Août 2025

De Paris à Dubaï avec amour : Victor Weinsanto

Victor Weinsanto, l'un des créateurs émergents les plus prometteurs de la Fashion Week de Paris, est également un habitué de la Fashion Week de Dubaï, où il dévoilera sa nouvelle collection le 6 septembre, quelques semaines avant son défilé dans la capitale française. Nous avons rencontré Victor dans son chaleureux studio parisien avec vue sur le Sacré-Cœur et les toits de la ville. Il nous a confié son amour pour la mode, comment il adapte ses créations joyeuses et théâtrales – à la manière de Jean Paul Gaultier, son maître, icône et professeur préféré – à différents publics, et pourquoi il est important que les Fashion Weeks du monde entier accueillent des personnalités internationales.

Comment êtes-vous tombé amoureux de la mode ?
C'est une longue histoire. Tout a commencé avec la danse. Je voulais devenir danseuse classique professionnelle. Adolescente, je m'entraînais à Stuttgart, dansant quatre à huit heures par jour, en plus des cours classiques et des cours d'allemand supplémentaires. Honnêtement, de retour à l'internat le soir, je n'avais qu'une envie : me changer les idées. Pendant que tout le monde regardait des clips de danse, je me suis retrouvée à regarder des défilés de mode. C'est devenu ma passion. J'adorais l'extravagance et je voyais aussi un lien fort avec la danse et le théâtre. Finalement, c'est une amie, Taicia, qui a eu le courage d'annoncer à mes parents que je voulais arrêter la danse pour me lancer dans la mode, ce que je n'osais pas dire moi-même, car ils avaient investi tant de temps, d'énergie et d'argent dans ma carrière de danseuse. Mais mes parents ont été très compréhensifs. Ils m'ont tout de suite soutenue, à une condition : que je travaille dur et que je contribue financièrement à cette nouvelle voie. C'est ainsi que ça s'est passé. Ce n'était pas un plan linéaire, c'était plutôt un concours de circonstances. Je me suis dit : « Je vais faire de la mode », même si je ne savais ni dessiner ni coudre à l'époque. J'ai dû tout apprendre plus tard, de zéro.

Alors, comment as-tu appris ? Tu as fait une école de mode ?
Mon rêve était d'aller à Parsons, où l'on pourrait passer un an à Paris, un autre à Milan ou à New York. J'adorais l'idée de voyager. Mais quand j'en ai parlé à mes parents, ils m'ont dit : « Et d'où va venir l'argent pour ça ? Trop mignon ! » Finalement, j'ai choisi une option plus abordable à Paris, et c'est comme ça que je me suis retrouvée à l'Atelier Chardon Savard. Honnêtement, ça me convenait parfaitement. J'étais ravie d'être à Paris, c'est la capitale de la mode, quoi qu'on en dise. À l'époque, je rêvais déjà de travailler pour Jean Paul Gaultier, donc pour moi, c'était essentiel d'être dans la ville où se trouvaient ses boutiques, entourée de tous les créateurs qui m'inspiraient. Ensuite, j'ai fait plusieurs stages chez Y/Project, Maxime Simoëns, See by Chloé, et j'ai finalement décroché le job de mes rêves chez Jean Paul Gaultier.

Comment avez-vous rencontré votre icône, Jean-Paul Gaultier ?
La toute première fois, c'était grâce à Pierre et Gilles, mes artistes-photographes et chers amis. J'avais déjà fait plusieurs séances avec eux, et lorsque Jean-Paul leur a demandé de réaliser le portrait de deux jeunes hommes, ils ont pensé à moi. L'image devait représenter Jean-Paul dans sa jeunesse aux côtés de son meilleur ami, Francis Menuge, qui avait toujours cru en lui et l'avait inspiré à poursuivre son rêve de mode, mais qui est malheureusement décédé en 1990, à seulement 40 ans. Il s'agissait de raconter l'histoire de leur rencontre et de leur amitié. Par gentillesse, ils ont proposé ma candidature. Jean-Paul m'a acceptée sans même savoir qui j'étais ni que j'étais stagiaire au département costumes pour son Fashion Freak Show, qui se déroulait alors à Paris. Lors des essayages, j'ai osé dire à Tanel Bedrossiantz, muse, ami et bras droit de Jean-Paul, que j'étais styliste et que je rêvais de travailler pour Monsieur et que rejoindre la maison serait une grande expérience. Pour être honnête, j'avais déjà déposé mon CV à l'accueil d'innombrables fois, sans succès. Mais cette fois, ça a marché : j'ai décroché un entretien avec Isabelle Aout, qui dirigeait alors le studio. Nous avons eu une connexion incroyable, et je l'adore encore aujourd'hui. Grâce à cette rencontre, j'ai enfin rejoint l'équipe de Jean-Paul.

Quel effet cela fait-il de travailler aux côtés de votre icône ?
Travailler avec Gaulthier a été un moment magique. J'étais toujours émerveillée : c'était mon idole, et soudain, je me suis retrouvée à ses côtés, assistante d'un génie non seulement immensément créatif, mais aussi incroyablement gentille et généreuse. Avec le temps, bien sûr, l'admiration initiale s'est dissipée et j'ai pu me concentrer davantage sur mon rôle d'assistante styliste, le considérant comme mon patron plutôt que comme la star que j'adorais. Mais ces premiers moments avec lui ont été magiques.

Quelle est la meilleure leçon que vous ayez apprise de Jean-Paul Gaultier ?
Ce qui m'a le plus marqué, c'est l'amour du savoir-faire. Qu'il s'agisse de broderie, de plissage, de manipulation des tissus, de drapé de la soie ou de coupe en biais… tous ces éléments m'ont marqué et sont au cœur de mon travail aujourd'hui. Honnêtement, sans ces expériences chez Jean Paul Gaultier, mon niveau d'artisanat ne serait tout simplement pas le même. C'est là que j'ai appris à aimer la haute couture, à aimer le processus de création de pièces sur mesure avec toute sa complexité technique : les tissus, le poids, les dimensions. C'est infiniment fascinant.

Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre propre label ?
Je savais que Monsieur Gaultier touchait à sa fin et je ne pouvais pas imaginer rester sans lui. De plus, je n'étais pas certaine que mon contrat soit renouvelé, alors j'ai choisi de partir à mes conditions, dignement. Pour le dernier défilé d'été, nous avons travaillé 24 heures sur 24, et en plus, je développais ma propre collection le soir. Je ne voulais pas risquer une longue période sans emploi. Mon objectif était d'avoir une collection prête à défiler immédiatement après avoir quitté Gaultier, afin de trouver rapidement un poste ailleurs. Mes projets étudiants ne correspondaient plus au niveau que je souhaitais présenter, alors je me suis investie à fond. Le plan était clair : j'ai terminé chez Gaultier fin janvier et, début mars, j'avais organisé mon premier défilé, auquel Jean-Paul en personne a assisté. Une semaine plus tard, le confinement a commencé en France, et soudain, toutes mes recherches d'emploi ont été interrompues. C'est là qu'Adrien Joffe est entré en scène, grâce à mon meilleur ami Romain, qui me l'a présenté et l'a amené à mon premier défilé. Adrien a immédiatement compris la situation et m'a gentiment proposé : « Si je peux vous aider à vendre, ce serait formidable. » Il m'a ensuite invité à présenter la collection au nouveau showroom de Dover Street Market, place Vendôme. Ce fut un coup de chance extraordinaire : nous avons vendu immédiatement, et dans les plus grandes enseignes du monde entier. C'est vraiment ce qui a tout déclenché.

Vous créez des pièces Haute Couture, mais vous défilez régulièrement lors des défilés de prêt-à-porter à Paris, pourquoi ?
Pour moi, la couture a toujours été très spécifique. Si l'on regarde les critères officiels de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, ils sont extrêmement stricts ; le simple fait d'être invité en tant que membre invité est déjà très compliqué. La concurrence est rude dans la couture. Je préfère me démarquer à ma façon. J'adore créer des jeans, des ceintures, des pièces que je porte moi-même, alors je ne veux pas me limiter. Si je me consacrais entièrement à la couture, je ne pourrais pas explorer tout ça.

Ce que j'aime, c'est proposer les deux : quelque chose de complètement extravagant, comme une pièce en plâtre moulé ou une robe de mariée spectaculaire, avec une robe de mariée plus commerciale ou une silhouette plus simple. Cet équilibre me passionne. La plupart des pièces sont produites en usine, je ne qualifierais donc pas cela de couture. Pour moi, quand j'utilise le mot « couture », je parle des grands chapeaux, des robes corsetées, des crinolines – toutes des pièces fabriquées ici, dans mon atelier à Paris. Prenez Claudie, par exemple, qui a été chef modiste chez Gaultier pendant des années et qui travaille maintenant avec moi. J'ai toujours collaboré avec des personnes qui ont un véritable savoir-faire. Pour moi, construire ma carrière a toujours été synonyme de travail aux côtés d'un véritable artisanat.

Vous exposez également à Dubaï, où vous êtes désormais un habitué de la Fashion Week. Vous souvenez-vous de votre première visite ? Quelles ont été vos premières impressions ?
J'ai découvert Dubaï pour la première fois lors d'un échange avec la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, en tant que créatrice invitée. À mon arrivée, je suis arrivée sans jugement, sans a priori. Je n'avais pas ces critiques faciles que l'on peut parfois formuler. Au fil du temps, j'ai vraiment appris à connaître le pays et sa mentalité, bien plus ouverte qu'on ne l'imagine. Bien sûr, il y a des règles et des restrictions ; par exemple, les démonstrations d'affection en public sont interdites. Mais ce qui m'a frappée, c'est que, à bien des égards, je me suis sentie encore plus acceptée. Je pouvais me promener en crop top, en débardeur ou en mini-short, et si les gens me regardaient, c'était avec politesse. En France, j'aurais pu être insultée. Cela m'a fait réaliser que Dubaï peut être bien plus ouverte et tolérante qu'on ne le pense souvent. La culture locale, ancrée dans le Coran, me paraît souvent plus ouverte en pratique que ce que l'on voit dans de nombreux pays occidentaux façonnés par le christianisme ou le catholicisme. Une de mes amies les plus proches (nous nous sommes rencontrées grâce à la musique, et elle défile souvent comme mannequin lors de mes défilés) m'a aidée à comprendre cela. Avec elle, on devient vite frère et sœur. Il y a une forte solidarité. Elle dit toujours, et c'est vrai, qu'en cas de problème là-bas, on appelle quelqu'un et on viendra immédiatement. En France, il peut encore y avoir un fond de jalousie ou d'individualisme, pas toujours, bien sûr, mais il est présent. Je ne dis pas qu'une approche est meilleure que l'autre, juste que les deux ont leurs défauts. Pour moi, ce sont vraiment deux mondes différents, et je dois dire que j'adore cet endroit.

En quoi vos collections se distinguent-elles lorsque vous les exposez à Dubaï ? Les adaptez-vous aux standards locaux ?
C'est un immense privilège et un honneur de pouvoir exposer et vendre au Moyen-Orient. Le public est sincèrement intéressé, ouvert et curieux. Mon travail est toujours très sexy, très opulent. Je me démarque totalement, et pourtant le gouvernement valide mes collections. Bien sûr, une même collection nécessite souvent de petits ajustements. Nous évitons les textures chatoyantes, troquons les culottes pour des slips courts, ou je retravaille entièrement un look avec un pantalon. Cela ne me dérange pas, c'est important pour moi de respecter la culture. Et comme ils me le rappellent souvent, ils sont plus ouverts d'esprit qu'on ne le pense. Lors d'essayages à Dubaï, il est arrivé plus d'une fois qu'un représentant du gouvernement soit présent pour approuver les looks, disant parfois : « Non, celui-ci est trop sexy. » Je ne le prends jamais personnellement. Je le vois même comme un exercice positif, car il me force à présenter mon travail autrement : souvent de manière plus commerciale, plus portable, plus accessible. Au final, cela élargit mon approche. Nous participons maintenant à des showrooms là-bas, avec de grands magasins à travers le Moyen-Orient. À mon échelle, je ne me suis jamais sentie aussi utile que lorsque j'ai le sentiment de contribuer à ouvrir les esprits grâce à la mode, d'apporter un sentiment de liberté plus léger. Prenons l'exemple de Jacob Abrien, cofondateur de la Fashion Week de Dubaï avec Mohammed Aqra. C'est un génie, profondément ouvert d'esprit, et sa mission quotidienne est de repousser les limites. Et il y parvient. Il y a dix ans, rien de tout cela n'existait. Impossible de présenter une femme en robe Weinsanto sur un podium de Dubaï ; c'aurait été impossible. Aujourd'hui, c'est possible.

L'année dernière, vos créations ont été présentées lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques. Comment s'est déroulée cette cérémonie ?
C'était une opportunité incroyable. Je suis éternellement reconnaissante à Daphné Bürki et Thomas Jolly d'avoir pensé à nous, d'avoir cru en nous. C'était une chance immense et cela nous a donné une visibilité extraordinaire. Par exemple, ma grand-mère ne s'y connaît pas vraiment en mode, mais quand elle m'a vu crédité lors de la cérémonie olympique (Weinsanto est son nom de jeune fille), ce fut l'un de mes plus grands moments de fierté. Cela signifiait tout pour elle, et pour moi. Pour beaucoup d'entre nous, créateurs, cela nous a même valu d'être nommés Chevaliers de l'Ordre des Arts et des Lettres. Je n'aurais jamais imaginé une telle chose de ma vie ; je n'aurais même pas eu l'ego de me demander si je le méritais. Et pourtant, c'était bien là. Au final, cela peut paraître simple, mais pour ma famille, c'était vraiment significatif. Et oui, les Jeux olympiques ont sans aucun doute été l'une des plus belles expériences de ma vie. En plus, nous avons fêté ça comme il se doit sur le bateau après, nous avons tellement ri !

Texte : Lidia Ageeva